mercredi 3 février 2010

Que pensait Le Monde de l'iPod lors de sa sortie en 2001?

L'iPad a reçu un accueil mitigé. L'iPod n'avait pas déclenché d'hystérie non plus en 2001. Voilà ce qu'écrivait Le Monde à l'époque qui jugeait cette stratégie d'Apple comme un "pari pour sa survie à long terme".


Avec le lecteur audio iPod, Apple lorgne sur l'électronique grand public


POUR la première fois, le constructeur informatique Apple sort de ses frontières traditionnelles. Après l'ordinateur familial iMac et l'ordinateur portable iBook, il a lancé, mardi 23 octobre, le juke-box numérique iPod. Trois ans après avoir entrepris un renouvellement complet de sa gamme qui lui a permis de conserver une place à part dans l'informatique mondiale, Apple lance un produit plus proche de l'électronique grand public que de l'informatique stricto sensu. L'iPod est un baladeur numérique MP3, « de la taille d'un paquet de cartes », capable de stocker un millier de chansons (soit l'équivalent d'environ 70 CD). Relié aux ordinateurs de marque Apple via le port à grande vitesse Fire-wire, il permet de télécharger l'équivalent d'un CD en moins de dix secondes, contre 5 à 10 minutes pour les graveurs de CD actuellement sur le marché. L'ensemble des morceaux de musique stockés sur un ordinateur (copiés depuis un CD ou téléchargés sur Internet) sont automatiquement transférés sur l'iPod lorsque les deux machines sont reliées entre elles. Entièrement conçu à partir des logiciels et technologies développés par Apple (et notamment son logiciel d'édition musicale iTunes), l'iPod n'est pour l'instant compatible qu'avec les ordinateurs de la marque à la pomme (il sera commercialisé à partir du 10 novembre au prix de 449 euros hors taxe en Europe).

Cette première diversification marque-t-elle un nouveau virage stratégique par la firme dirigée par Steve Jobs ? Lors de sa visioconférence avec les salariés de son groupe, le PDG a laissé entendre que d'autres produits pourraient suivre. Pascal Cagni, vice-président d'Apple pour l'Europe, explique que « Apple a étudié les différents produits numériques grand public comme les appareils photo, les caméras vidéo ou les assistants numériques ». Pour le moment « le segment de la musique numérique nous a semblé le plus évident. Il n'y a aucun leader établi dans ce domaine et c'est un domaine éminemment consensuel », poursuit-il. Le développement du téléchargement Internet, avec les sites pirates et les plates-formes officielles Presspay (Vivendi-Universal et Sony) et MusicNet (AOL Time Warner, Bertelsmann et EMI), ouvre d'immenses perspectives pour le stockage numérique de la musique. Coïncidence, Vivendi Universal devait annoncer, jeudi 25 octobre, le lancement de son site Internet e-compil.com qui permettra aux internautes de se constituer un juke-box en ligne, éventuellement téléchargeable sur l'iPod...

Avec cette nouvelle machine, réservée techniquement à ses aficionados, Apple pousuit sa marche solitaire. Avec son système d'exploitation Mac OS, dont il vient de développer une version complètement nouvelle conçue sous Unix (Mac OS X), le constructeur reste délibérément en dehors de l'univers Windows de Microsoft. En véritable Astérix de l'informatique mondiale, M. Jobs refuse toujours d'adopter le système Wintel (un système d'exploitation Windows de Microsoft et une architecture Intel, des standards qui équipent désormais 95 % des ordinateurs personnels). Se limitant de facto à 4 % à 5 % du marché mondial de l'informatique personnelle, Apple pense néanmoins pouvoir faire vivre une communauté de fidèles ou de nouveaux convertis, séduits par le design des produits et la performance de ses logiciels.Convaincu que l'ordinateur va devenir le point de convergence de l'ensemble des appareils numériques domestiques, Apple a développé depuis plusieurs mois un ensemble de logiciels (iTunes, iMovie, iDVD) permettant le montage numérique de la musique, de la photographie et de la vidéo. Le lancement par Microsoft de Windows XP, jeudi, qui reprend en grande partie la logique intégratrice d'Apple, démontre une fois de plus la pertinence de la vision stratégique de M. Jobs. Comme d'habitude, Microsoft, même en retard, devrait bénéficier de sa base installée et de la position dominante de ses standards pour combler son retard.Pour tenter de conserver une longueur d'avance, Apple semble cette fois-ci s'engager dans la voie plus généraliste de l'électronique grand public.

Après avoir révolutionné l'informatique personnelle dans les années 1980, ressuscité la marque à la pomme à la fin des années 1990 et donné un coup de jeune et de design à toute l'industrie, M. Jobs semble s'engager sur le modèle de Sony. Apple développe un environnement «propriétaire» où le consommateur est invité à rester fidèle au fabricant pour pouvoir bénéficier de l'interconnectivité entre les différents appareils.Cette stratégie est-elle viable ? Après un incident industriel fin 2000 (mauvaise appréciation du marché et échec de son nouvel ordinateur haut de gamme iCube), Apple a renoué avec les bénéfices. Au trimestre, clos fin septembre, la marque à la pomme est l'un des seuls constructeurs de PC mondiaux a avoir réalisé des bénéfices (66 millions de dollars). Grâce au succès de son iBook, 35 % des ventes d'Apple sont désormais constituées d'ordinateurs portables, ce qui lui a permis d'amortir la sévère récession subie par tous les constructeurs sur les ordinateurs de bureau.Pour rester dans la course, Apple est désormais contraint d'innover sans cesse pour convaincre ses fidèles de ne pas céder aux sirènes du monde Wintel. Pour Apple, chaque lancement de produits constitue de fait un nouveau pari, décisif pour sa survie à long terme.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN in Le Monde le 25 10 2001